Retour sur un grand moment d’émotion lors de la cérémonie de commémoration du 11 novembre dernier. La lecture de la lettre de Pierre à Edith (Verdun le 22 septembre 1916) par Jean Claude LE RIBOTEUR.
« « Ma chère Édith,
La vie ici est très dure. Dans les tranchées, l’odeur de la mort règne. Les
rats nous envahissent, les parasites nous rongent la peau. Nous vivons dans
la boue, elle nous envahit, nous ralentit et arrache nos grolles. Le froid se
rajoute à ces supplices. Ce vent glacial qui nous gèle les os, il nous
poursuit chaque jour. La nuit, il nous est impossible de dormir. Être prêt, à
chaque instant, prêt à attaquer, prêt à tuer. Tuer, ceci est le maître-mot de
notre histoire. Ils nous répètent qu’il faut tuer pour survivre, je dirais plutôt
vivre pour tuer. C’est comme cela que je vis chaque minute de cet enfer.
Sans hygiène. Sans repos. Sans joie. Sans vie. Cela n’est rien comparé au
trou morbide où ils nous envoient. Sur le champ de bataille, on ne trouve
que des cadavres, des pauvres soldats pourrissant sur la terre imprégnée de
sang. Les obus, les mines, détruisent tout sur leur passage. Arbres,
maisons, et le peu de végétation qu’il reste. Tout est en ruine. L’odeur des
charniers, le bruit des canons, les cris des soldats… L’atmosphère qui
règne sur ce champ de carnage terroriserait un gosse pour toute sa vie.
Elle nous terrorise déjà. Lundi, je suis monté au front. Ils m’ont touché à la
jambe. Je t’écris cette lettre alors que je devrais être aux côtés des autres, à
me battre pour ma patrie. Notre patrie, elle ne nous aide pas vraiment. Ils
nous envoient massacrer des hommes, alors qu’eux, ils restent assis dans
leurs bureaux ; mais en réalité, je suis sûr qu’ils sont morts de peur. Ah !
Ce que j’aimerais recevoir une lettre. Cette lettre, celle qu’on attend tous,
pouvoir revenir en perme. Ce que j’aimerais te revoir, ma chère épouse !
Retrouver un peu de confort, passer du temps avec notre petit garçon…
Est-ce que tout le monde va bien ? Ne pensez pas à toutes ces horreurs. Je
ne veux pas que vous subissiez cela par ma faute. Prends bien soin de toi,
de notre fils, et de mes parents. Et, même si je ne reviens pas, je veillerai
toujours sur toi. Je pense à vous tous les jours, et la seule force qui me
permet encore de survivre, c’est de savoir que j’ai une famille qui
m’attend, à la maison.
J’espère être à vos côtés très prochainement, à bientôt ma belle Édith, je
t’aime. Pierre »